Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/344

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émotion. Il y avait une exposition de peinture moderne. Quoique très-ignorant dans un art dont j’avais l’instinct sans nulle culture, et dont je parlais d’autant moins que je le respectais davantage, j’allais quelquefois poursuivre, à propos de peinture, des examens qui m’apprenaient à bien juger mon époque, et chercher des comparaisons qui ne me réjouissaient guère. Un jour, je vis un petit nombre de gens qui devaient être des connaisseurs arrêtés devant un tableau et discourant. C’était un portrait coupé à mi-corps, conçu dans un style ancien, avec un fond sombre, un costume indécis, sans nul accessoire : deux mains splendides, une chevelure à demi perdue, la tête présentée de face, ferme de contours, gravée sur la toile avec la précision d’un émail, et modelée je ne sais dans quelle manière sobre, large et pourtant voilée, qui donnait à la physionomie des incertitudes extraordinaires, et faisait palpiter une âme émue dans la vigoureuse incision de ce trait aussi résolu que celui d’une médaille. Je restai anéanti devant cette effigie effrayante de réalité et de tristesse. La signature était celle d’un peintre illustre. Je recourus au livret : j’y trouvai les initiales de Mme de Nièvres. Je n’avais pas besoin de ce témoignage. Madeleine était là devant moi qui me