Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/345

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regardait, mais avec quels yeux ! dans quelle attitude ! avec quelle pâleur et quelle mystérieuse expression d’attente et de déplaisir amer !

Je faillis jeter un cri, et je ne sais comment je parvins à me contenir assez pour ne pas donner aux gens qui m’entouraient le spectacle d’une folie. Je me mis au premier rang ; j’écartai tous ces curieux importuns qui n’avaient rien à faire entre ce portrait et moi. Pour avoir le droit de l’observer de plus près et plus longtemps, j’imitai le geste, l’allure, la façon de regarder, et jusqu’aux petites exclamations approbatives des amateurs exercés. J’eus l’air d’être passionné pour l’œuvre du peintre, tandis qu’en réalité je n’appréciais et n’adorais passionnément que le modèle. Je revins le lendemain, les jours suivants ; je me glissais de bonne heure à travers les galeries désertes, j’apercevais le portrait de loin comme un brouillard ; il ressuscitait à chaque pas que je faisais en avant. J’arrivais : tout artifice appréciable disparaissait ; c’était Madeleine de plus en plus triste, de plus en plus fixée dans je ne sais quelle anxiété terrible et pleine de songes. Je lui parlais, je lui disais toutes les choses déraisonnables qui me torturaient le cœur depuis près de deux années ; je lui demandais grâce, et pour elle, et pour moi. Je la sup-