Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/358

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s’il se fût agi de se faire audacieusement enlever devant ses domestiques, en plein jour :

« Partons, » me dit-elle.

À peine arrivée sous bois, elle prit le galop. Je fis comme elle et je la suivis. Elle hâta le pas dès qu’elle me sentit sur ses talons, cravacha son cheval, et sans motif le lança à fond de train. Je me mis à son allure, et j’allais l’atteindre quand elle fit un nouvel effort qui me laissa derrière. Cette poursuite irritante, effrénée, me mit hors de moi. Elle montait une bête légère et la maniait de façon à décupler sa vitesse. À peine assise, tout le corps soulevé pour diminuer encore le poids de sa frêle stature, sans un cri, sans un geste, elle filait éperdument et comme emportée par un oiseau. Je courais moi-même à toute allure, immobile, les lèvres sèches, avec la fixité machinale d’un jockey dans une course de fond. Elle tenait le milieu d’un sentier étroit, un peu encaissé, raviné par le bord, où deux chevaux ne pouvaient passer de front, à moins que l’un des deux ne se rangeât. La voyant obstinée à me barrer le passage, je grimpai sous bois, et je l’accompagnai quelque temps ainsi, au risque de me briser la tête cent fois pour une ; puis, le moment venu de lui couper la route, je franchis le talus, tombai dans le chemin creux et