Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/368

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après, tout à fait à la nuit, avec le souvenir incohérent d’une scène affreuse. On sonnait le dîner ; il me fallut descendre. J’agissais, j’avais les jambes libres ; il me semblait avoir reçu un choc violent sur la tête. Grâce à cette paralysie très-réelle, j’éprouvais une sensation générale de grande souffrance, mais je ne pensais pas. La première glace où je m’aperçus me montra la figure étrangement bouleversée d’un fantôme à peu près semblable à moi, que j’eus de la peine à reconnaître. Madeleine ne parut point, et il m’était presque indifférent qu’elle fût là ou ailleurs. Julie, fatiguée, chagrine, ou inquiète de sa sœur et très-probablement bourrelée de soupçons, — car, avec cette singulière fille clairvoyante et cachée, toutes les suppositions étaient permises, et cependant demeuraient douteuses, — Julie ne devait pas nous rejoindre au salon. Je me retrouvai seul avec M. d’Orsel jusqu’au milieu de la soirée ; j’étais inerte, insensible et comme de sang-froid, tant il me restait peu de sens pour réfléchir et de force pour être agité.

Il était dix heures à peu près quand Madeleine entra, changée à faire peur et méconnaissable aussi, comme un convalescent que la mort a touché de près.