Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/374

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prenais un chemin de traverse qui me conduisait chez moi par le marais.

Il y avait quatre jours et quatre nuits qu’une douleur fixe me bridait le cœur et me tenait les yeux aussi secs que si je n’eusse jamais pleuré. Au premier pas que je fis sur le chemin des Trembles, il y eut en moi un tressaillement de souvenirs qui rendit la douleur plus cuisante et cependant un peu moins tendue.

Il faisait très-froid. La terre était dure, la nuit presque complète, au point que la ligne des côtes et la mer ne formaient plus qu’un horizon compact et tout noir. Un reste de rougeur s’éteignait à la base du ciel et blêmissait de minute en minute. Un chariot passait au loin près de la falaise ; on l’entendait cahoter et crier sur le pavé gelé. L’eau des marais était prise ; par endroits seulement, de larges carrés d’eau douce, qui ne gelaient point, continuaient de se mouvoir doucement, et demeuraient blanchâtres. Six heures sonnèrent au clocher de Villeneuve. Le silence et l’obscurité devenaient si grands, qu’on aurait cru qu’il était minuit. Je marchais sur les levées, et je ne sais comment je me rappelai qu’à cet endroit-là même autrefois, dans de froides nuits pareilles, j’avais chassé des canards. J’entendais au-dessus de ma