Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semblait se dicter à lui-même à demi-voix. Quelque fois il souriait quand une observation plus aiguë naissait sous sa plume, et après chaque couplet un peu long, où sans doute un de ses personnages avait résonné juste et serré, il réfléchissait un moment, le temps de reprendre haleine, et je l’entendais qui disait : « Voyons, qu’allons-nous répondre ? » Lorsque par hasard il était en humeur de confidence, il m’appelait près de lui et me, disait : « Écoutez donc cela, monsieur Dominique. » Rarement j’avais l’air de comprendre. Comment me serais-je intéressé à des personnages que je n’avais pas vus, que je ne connaissais point ?

Toutes ces complications de diverses existences si parfaitement étrangères à la mienne me semblaient appartenir à une société imaginaire où je n’avais nulle envie de pénétrer. « Allons, vous comprendrez cela plus tard », disait Augustin. Confusément j’apercevais bien que ce qui délectait ainsi mon jeune précepteur, c’était le spectacle même du jeu de la vie, le mécanisme des sentiments, le conflit des intérêts, des ambitions, des vices ; mais, je le répète, il était assez indifférent pour moi que ce monde fût un échiquier, comme me le disait encore Augustin, que la vie fût une