Page:Fromentin - Dominique, 1863.djvu/84

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Très-peu sensible aux choses qui nous entouraient, tandis que son élève en était à ce point absorbé, assez indifférent au cours des saisons pour se tromper de mois comme il se serait trompé d’heure, invulnérable à tant de sensations dont j’étais traversé, délicieusement blessé dans tout mon être, froid, méthodique, correct et régulier d’humeur autant que je l’étais peu, Augustin vivait à mes côtés sans prendre garde à ce qui se passait en moi, ni le soupçonner. Il sortait peu, quittait rarement sa chambre, y travaillait depuis le matin jusqu’à la nuit, et ne se permettait de relâche que dans les soirées d’été, où l’on ne veillait point, et parce que la lumière du jour venait à lui manquer. Il lisait, prenait des notes : pendant des mois entiers, je le voyais écrire. C’était de la prose, et le plus souvent de longues pages de dialogues. Un calendrier lui servait à choisir des séries de noms propres. Il les alignait sur une page blanche avec des annotations à la suite ; il leur donnait un âge, il indiquait la physionomie de chacun, son caractère, une originalité, une bizarrerie, un ridicule. C’était là, dans ses combinaisons variables, le personnel imaginé pour des drames ou des comédies. Il écrivait rapidement, d’une écriture déliée, symétrique, très-nette à l’œil, et