Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/80

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et le regardant par dessus l’épaule, lui dit avec un ris badin : Ha ouy, je t’engeolle. Et, piquant la crouppe de sa monture avec le bout de la poignée de son fouet, il se vit bien-tost hors de la portée des pavez. Dès le lendemain, le marquis vint voir Lucrece en un équipage qui fit bien connoistre que ce n’estoit pas pour luy qu’il avoit fait l’apologie du jour precedent.

Je croy que ce fut en cette visite qu’il luy découvrit sa passion ; on n’en sçait pourtant rien au vray. Il se pourroit faire qu’il n’en auroit parlé que les jours suivans, car tous ces deux amans estoient fort discrets, et ils ne parloient de leur amour qu’en particulier. Par mal-heur pour cette histoire, Lucrece n’avoit point de confidente, ni le marquis d’escuyer, à qui ils repetassent en propres termes leurs plus secrettes conversations. C’est une chose qui n’a jamais manqué aux heros et aux heroïnes. Le moyen, sans cela, d’écrire leurs avantures ? Le moyen qu’on pust savoir tous leurs entretiens, leurs plus secrettes pensées ? qu’on pust avoir coppie de tous leurs vers et des billets doux qui se sont envoyez, et toutes les autres choses necessaires pour bastir une intrigue ? Nos amants n’estoient point de condition à avoir de tels officiers, de sorte que je n’en ay rien pu apprendre que ce qui en a paru en public ; encore ne l’ay-je pas tout sçeu d’une mesme personne, parce qu’elle n’auroit pas eu assez bonne memoire pour me repeter mot à mot tous leurs entretiens ; mais j’en ay appris un peu de l’un et un peu de l’autre, et, à n’en point mentir, j’y ay mis aussi un peu du mien. Que si vous estes si desireux de voir comme on découvre sa passion, je vous en indiqueray plusieurs moyens qui sont dans l’Amadis, dans l’Astrée, dans Cirus et dans