Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/138

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solidarité que nous remarquions tout à l’heure entre ses membres n’a plus rien de surprenant ; ils sont parents par la naissance. Le culte qu’ils pratiquent en commun n’est pas une fiction ; il leur vient de leurs ancêtres. Comme ils sont une même famille, ils ont une sépulture commune. Pour la même raison, la loi des Douze Tables les déclare aptes à hériter les uns des autres. Pour la même raison encore, ils portent un même nom. Comme ils avaient tous, à l’origine, un même patrimoine indivis, ce fut un usage et même une nécessité que la gens entière répondit de la dette d’un de ses membres, et qu’elle payât la rançon du prisonnier ou l’amende du condamné. Toutes ces règles s’étaient établies d’elles mêmes lorsque la gens avait encore son unité ; quand elle se démembra, elles ne purent pas disparaître complètement. De l’unité antique et sainte de cette famille il resta des marques persistantes dans le sacrifice annuel qui en rassemblait les membres épars, dans le nom qui leur restait commun, dans la législation qui leur reconnaissait des droits d’hérédité, dans les mœurs qui leur enjoignaient de s’entr'aider[1].

  1. L’usage des noms patronymiques date de cette haute antiquité et se rattache visiblement à cette vieille religion. L’Unité de naissance et de culte se marqua par l’unité de nom. Chaque gens se transmit de génération en génération le nom de l’ancêtre et le perpétua avec le même soin qu’elle perpétuait son culte. Ce que les Romains appelaient proprement nomen, était ce nom de l’ancêtre que tous les descendants et tous les membres de la gens devaient porter. Un jour vint où chaque branche, en se rendant indépendante à certains égards, marqua son individualité en adoptant un surnom (cognomen). Comme d’ailleurs chaque personne dut être distinguée par une dénomination particulière, chacun eut son agnomen, comme Caius ou Quintus. Mais le vrai nom était celui de la gens ; c’était celui-la que l’on portait officiellement ; c’était celui-là qui était sacré ; c’était celui-la qui, remontant au premier ancêtre connu, devait durer aussi longtemps que la famille et que ses dieux. Il en était de même en Grèce ; Romains et Hellènes se ressemblent encore en ce point. Chaque Grec, du moins s’il appartenait à une famille ancienne et régulièrement constituée, avait trois noms comme le patricien de Rome. L’un de ces noms lui était particulier ; un autre était celui de son père, et comme ces deux noms alternaient ordinairement entre eux, l’ensemble des deux équivalait au cognomen héréditaire