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4° La famille (gens) a été d’abord la seule forme de société.

Ce que nous avons vu de la famille, sa religion domestique, les dieux qu’elle s’était faits, les lois qu’elle s’était données, le droit d’aînesse sur lequel elle s’était fondée, son unité, son développement d’âge en âge jusqu’à former la gens, sa justice, son sacerdoce, son gouvernement intérieur, tout cela porte forcément notre pensée vers une époque primitive où la famille était indépendante de tout pouvoir supérieur, et où la cité n’existait pas encore.

Que l’on regarde cette religion domestique, ces dieux qui n’appartenaient qu’à une famille et n’exerçaient leur providence que dans l’enceinte d’une

    qui désignait à Rome une branche de la gens. Enfin le troisième nom était celui de la gens tout entière. Exemples : Μιλτιάδης Κιμῷνος Λακιάδης, et a la génération suivante Κιμῷν Μιλτιάδου Λακιάδης. Les Lakiades formaient un γένος comme les Cornelii une gens. Il en était ainsi des Butades, des Phytalides, des Brytides, des Amynandrides, etc. On peut remarquer que Pindare ne fait jamais l’éloge de ses héros sans rappeler le nom de leur γένος. Ce nom, chez les Grecs, était ordinairement terminé en ιδης ou αδης et avait ainsi une forme d’adjectif, de même que le nom de la gens, chez les Romains, était invariablement terminé en ius. Ce n’en était pas moins le vrai nom ; dans le langage journalier on pouvait désigner l’homme par son surnom individuel ; mais dans le langage officiel de la politique ou de la religion, il fallait donner à l’homme sa dénomination complète et surtout ne pas oublier le nom du γένος. (il est vrai que plus tard la démocratie substitue le nom du deme à celui du γένος.) — Il est digne de remarque que l’histoire des noms a suivi une tout autre marche chez les anciens que dans les sociétés chrétiennes. Au moyen âge, jusqu’au douzième siècle, le vrai nom était le nom de baptême ou nom individuel, et les noms patronymiques ne sont venus qu’assez tard comme noms de terre ou comme surnoms. Ce fut exactement le contraire chez les anciens. Or cette différence se rattache, si l’on y prend garde, à la différence des deux religions. Pour la vieille religion domestique, la famille était le vrai corps, le véritable être vivant, dont l’individu n’était qu’un membre inséparable ; aussi le nom patronymique fut-il le premier en date et le premier en importance. La nouvelle religion, au contraire, reconnaissait a l’individu une vie propre, une liberté complète, une indépendance toute personnelle, et ne répugnait nullement a l’isoler de la famille ; aussi le nom de baptême fut-il le premier et longtemps le seul nom.