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172 LIVRE III. LA CITE.

n'attribuaient pas k leurs dieux le don d'ubiquité*. Les TÎlles d'Argos et de Samos avaient chacune un« Héra poliade; ce n'était pas la même déesse, car elle était représentée dans les deux villes avec des attributs bien différents. Il y avait à Rome une Junon ; à cinq lieues de là, la ville de Veii en avait une autre; c'était si peu la même divinité, que nous voyons le dictateur Camille, assiégeant Veii, s'adresser à la Junon de l'ennemi pour la conjurer d'abandonner la ville étrusque et de passer dans son camp. Maître de la ville, il prend la statue, bien persuadé qu'il prend en même temps une déesse, et il la transporte dévotement à Rome. Rome eut dès lors deux Junons protectrices. Même histoire, quelques années aptes, pour un Jupiter qu'un autre dictateur apporta de Pré- neste, alors que Rome en avait déjà trois ou quatre chez elle*.

La ville qui possédait en propre une divinité ne voulait pas qu'elle protégeât, les étrangers, et ne permettait pas qu'elle fût adorée par eux. La plupart du temps un temple n'était accessible qu'aux citoyens. Les Argiens seuls avaient le droit d'entrer dans le temple de la Héra d'Argos. Pour pénétrer dans celui de l'Athéné d'Athènes, il fallait être Athénien '. Les Ro- mains, qui adoraient chez eux deux Junons, ne pouvaient pas entrer dans le temple d'une troisième Junon qu'il y avait dans la petite ville de Lanuvium*.

Il faut bien reconnaître que les anciens, si nous exceptons quelques rares intelligences d'élite, ne se sont jamais repré- senté Dieu comme un être unique qui exerce son action sur l'univers. Chacun de leurs innombrables dieux avait son petit domaine: à l'un une famille, à l'autre une tribu, à celui- ci une cité: c'était là le monde qui suffisait à la providence de chacun d'eux. Quant au Dieu du genre humain, quelques

1. Il y avait une 'AStivi) «oXiS; à Athènes, et il y avait aussi une 'Ai^v^ «oXià; à Tégée: celle-ci avait promis aux Tégéates que leur ville ne serait jamais prise (Pausanias, VIII, 47).

2. Tite-Live, V, 21, 22; VI, 29. — Voy. dans Dion Cassius, LIV, 4, une his- toire qui montre Jupiter Capitolio et Jupiter Tonnant comme deux dieux différents

S. Hérodote, V, 73; VI, 81. Sp«rte avait une Athéné et une Héra (Plutarque, L\ieurgue, <; Pausanias, Ht); mais un Spartiate n'avait pas le droit de pénétrer oa le temple de l'Athéné poliade d'Athènes ou de la Hera po'iade d'Argos. 4. U« n'acquilODl ce droit quaprf" 1» coni|uèle d« I» viils, Tile-Live, VIU, 14.

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