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CHAP. VI. LES DIEUX DE LA CITÉ. 178

philosophes ont pu le deviner, les mystères d'ÉIeusis ont pu le faire entrevoir aux plus intelligents de leurs initiés, mais le vulgaire n'y a jamais cru. Pendant longtemps l'homme n'a compris l'être divin que comme une iforce qui le protégeait personnellement, et chaque homme ou chaque groupe d'hom- mes a voulu avoir ses dieux. Aujourd'hui encore, chez les des- cendants de ces Grecs, on voit des paysans grossiers prier les saints avec ferveur, mais on doute s'ils ont l'idée de Dieu; chacun d'eux veut avoir parmi ces saints un protecteur par- ticulier, une providence spéciale. A Naples, chaque quartier a sa madone; le lazzarone s'agenouille devant celle de sa rue, et il insulte celle de la rue d'à côté; il n'est pas rare de voir deux facchini se quereller et se battre à coups de couteau pour les mérites de leurs deux madones. Ce sont là des excep- tions aujourd'hui, et on ne les rencontre que chez de certains peuples et dans de certaines classes. C'était la règle chez les anciens.

Chaque cité avait son corps de prêtres qui ne dépendait d'aucune autorité étrangère. Entre les prêtres de deux cités il a'y avait nul lien, nulle communication, nul échange d'enseigne- ment ni de rites. Si l'on passait d'une ville à une autre, on trouvait d'autres dieux, d'autres dogmes, d'autres cérémonies. Les anciens avaient des livres liturgiques, mais ceux d'une ville ne ressemblaient pas à ceux d'une autre. Chaque cité avait son recueil de prières et de pratiques, qu'elle tenait fort secret; elle eût cru compromettre sa religion et sa destinée, si elle l'eût laissé voir aux étrangers. Ainsi, la religion était toute locale, toute civile, à prendre cp mot dans le sens ancien, c'est-à-dire spéciale à chaque cité*.

En général, l'homme ne connaissait que les dieux de sa ville, n'honorait et ne respectait qu'eux. Chacun pouvait dire ce que, dans une tragédie d'Eschyle, un étranger dit aux Ar- giennes : « Je ne crains pas les dieux de votre pays, et je ne leur dois rien"».

1. D n'existait de cultes commaos à plasiMn dtét qae dans le cas d« OoaiMé- rations ; nous en parlerons ailleun. 3. Eschyle, Suppl., S6S.

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