— On ramasse les cocons dans une armoire chauffée par la vapeur d’une chaudière : la vapeur étouffe les chrysalides, et elles restent mortes à l’intérieur de leurs cocons avant d’avoir eu la force de briser la soie. Ce sont les chrysalides que vous voyez flotter sur l’eau.
— Quoi ? Madame, vous tuez ainsi tous vos pauvres vers ?
— Non ; pas tous. Nous en laissons quelques-uns percer leur prison et s’envoler. Aussitôt sortis, ils se hâtent de pondre de petits œufs. On recueille précieusement ces œufs, cette graine ; on la ramasse, et au mois de mai prochain, de ces graines sortiront de jeunes vers à soie. Nous les soignerons comme il faut, et ils nous donneront en échange de nouveaux cocons.
— Qui donc a songé à élever les premiers vers à soie ? est-ce quelqu’un de votre pays ?
— Les vers à soie ne sont point un insecte de nos pays, mon enfant : ils sont originaires de la Chine. En Chine, on les élève en plein air sur les arbres, et non dans les chambres comme chez nous où il fait plus froid.
— La Chine, dit Julien, c’est en Asie.
— Oui, mon enfant, des moines voyageurs, en grand secret, ont rapporté le ver à soie de Chine en Europe. Comme les Chinois voulaient garder pour eux cette industrie précieuse, ils défendaient sous des peines sévères de la faire connaître aux étrangers ; mais les moines cachèrent des œufs de ver à soie dans des cannes creuses, et ils les emportèrent en Europe avec des plants de mûrier. Plus tard, ce fut un pape qui dota la France de l’industrie des vers à soie.
— Et comment cela ? demanda Julien.
— Vous connaissez bien le comtat d’Avignon, qui est tout près d’ici ? A cette époque, le comtat appartenait aux papes. Grégoire X y fit planter des mûriers et éleva des vers à soie. Bientôt on imita dans toute la vallée du Rhône les gens d’Avignon, et à présent on élève des milliards de vers chaque année.
Julien remercia beaucoup la fileuse de tout ce qu’elle venait de lui apprendre, et on alla se mettre à table.