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— Nous le ferons, répondit Frantz d’un accent ému.

— Nous le ferons, répétèrent André et Julien ; et ce dernier, levant ses petites mains jointes vers le pilote, souriait à travers ses larmes comme si un coin du ciel noir s’était enfin éclairci.

Alors une sorte de calme s’éleva du fond de ces quatre âmes que la mort enveloppait encore de toutes parts : il semblait qu’en s’engageant à vaincre dans l’avenir de nouveaux périls pour le salut d’autres hommes, on eût déjà triomphé du péril présent.



C. — La dernière rafale de la tempête. — La barque désemparée.


Espérer et lutter jusqu’au bout est un devoir.


A ce moment, une dernière rafale s’éleva, mais si brusque, si violente que personne n’eut le temps de s’y préparer. Une lame énorme, furieuse, venant de l’avant, brisa d’un seul coup les deux rames. En même temps, elle emplit à moitié d’eau la barque, roula Julien, aveugla André et l’oncle Frantz, qui perdirent pied.

La bourrasque passée, nos quatre naufragés furent presque étonnés de se retrouver encore ensemble et de voir que la barque, quoique remplie d’eau, était toujours à flot. Par malheur elle était absolument désemparée ; on ne pouvait plus la diriger, on se trouvait comme une épave flottante à la merci du vent et des vagues, qui pouvaient entraîner de nouveau l’embarcation sur des récifs et l’y briser.

On s’empressa de vider le canot, ce qui fut long. Puis chacun se rassit, en proie à de nouvelles anxiétés.

Guillaume était devenu sombre. Immobile au fond de la barque, il suivait d’un œil triste l’horizon brumeux. Ses paupières étaient humides, comme si, par la pensée, il eût entrevu au delà des côtes de l’Océan une petite maison cachée sous les arbres, et au cher foyer de la maison une femme inquiète et deux têtes blondes, celles de ses petites filles.

Un soupir profond souleva la poitrine du vieux marin, et ses yeux continuèrent à se perdre dans l’horizon vide.

Alors deux bras caressants se posèrent sur son épaule et la petite voix tendre de Julien s’éleva. On eût dit que l’âme naïve de l’enfant avait lu dans celle du vieillard et qu’elle venait lui répondre.