Page:Gabriel Ferry - Les aventures d'un Français au pays de Caciques, 1881.djvu/99

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En effet, nous vîmes bientôt se dérouter toutes les scènes d’un vrai mystère du moyen âge. L’alcade, après avoir gravement écouté sous son dais de feuillage les accusations calomnieuses des Juifs, se leva et prononça en indien la sentence historique de condamnation. Des cris si tumultueux l’accueillirent, que le malheureux lépero (car c’en était un qui, pour quelques réaux, s’était chargé du rôle du Christ) sembla craindre que le drame ne prit une fâcheuse tournure et s’écria en espagnol :

Caramba ! je crois que j’aurais mieux fait de m’en tenir au rôle du bon larron. Seigneur alcade, n’oubliez pas qu’il y a là trois réaux de plus pour le divin Rédempteur.

— Bon ! dit l’alcade en repoussant le lépero, qui s’était, au mépris de la vérité historique, réfugié dans le tribunal même. En ce moment, un des soldats qui entouraient le Christ, plus fidèle à son rôle que l’effronté lépero, appliqua un soufflet sur la joue de ce dernier. Dès lors le lépero ne se contint plus ; il éclata en jurons et infligea la peine du talion à ses persécuteurs ébahis. Ce fut une mêlée générale, une lutte entre l’acteur qui oubliait complétement l’esprit de son rôle, et les Indiens, qui le gourmaient avec une ardeur vraiment digne des suppôts d’Hérode. La lutte se termina par un sacrifice héroïque de l’alcade, qui, pour vaincre l’obsti-