Page:Gagneur - Trois soeurs rivales.djvu/45

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prirent instinctivement que leur destinée devait s’agiter dans cet entretien, se décider peut-être.

Enfin, la cloche du souper mit fin à cette torture. Le repas fut d’abord contraint et silencieux. Seul, M. de Charassin conservait son inaltérable bonne humeur.

Quelle fut la surprise de tous, quand, au sortir de table, le baron, prenant le bras d’Henriette se dirigea vers la chambre rouge, et pria M. de Vaudrey et ses enfants de le suivre.

Parmi tous ses travers, le vieux noble avait celui de tenir énormément à l’étiquette et aux anciennes coutumes. Or, depuis 1595, époque à laquelle Henri IV reçut l’hospitalité des Vautravers, aucun événement mémorable ne s’était passé au château de Domblans qui n’eût eu pour témoins la chambre rouge et le portrait en pied de Henri IV.

Arrivé devant cet auguste portrait, M. de Charassin fit à ses enfants une allocution en termes emphatiques sur cette touchante coutume de ses aïeux, et laissa entendre qu’il allait s’agir d’un événement capable de rajeunir son vieux cœur. Il prit alors la main d’Henriette et celle de M. de Vaudrey, et, après leur avoir demandé s’ils s’acceptaient réciproquement pour fiancés sur leur mutuel consentement, il termina par cette bouffonne apostrophe :

— Soyez heureux, mes enfants ; que le grand roi vous bénisse et vous prenne sous sa royale et céleste protection !

La cérémonie achevée, la figure du baron rayonna de satisfaction. Il lui semblait que jamais, comme en cette journée, il n’avait mieux mérité de sa race, et ses petits yeux bleus, à demi voilés par ses paupières ridées, pétillaient comme au temps de ses amours.