Page:Gagneur - Trois soeurs rivales.djvu/46

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Henriette triomphait. Quant à M. de Vaudrey, il laissait, malgré lui, percer sur son visage une nuance d’ironie, et dissimulait sous une politesse affectée sa profonde indifférence pour Henriette.

Renée fut héroïque : en écoutant l’arrêt ; qui anéantissait son bonheur, ses yeux se levèrent comme pour prendre le ciel à témoin de sa résignation, et ils rencontrèrent la devise en lettres rouges empreinte sur les poutrelles : Espoir déçoit. Cette devise, écrite sans doute par un cœur désolé, lui apporta à travers les siècles une sympathie qui lui aida à supporter sa douleur. Au moment de sortir, elle se retourna, et apercevant dans la demi-obscurité Gabrielle immobile sur un fauteuil, elle l’appela à plusieurs reprises mais n’obtenant pas de réponse, elle se précipita vers elle, et reconnut qu’elle était évanouie.

— Pauvre sœur ! s’écria Renée, elle l’aimait encore plus que moi !…

Quand Gabrielle revint à elle, elle avait le délire. Dans le désordre de ses idées, son secret lui échappa, et, malgré l’incohérence de ses paroles, Renée put découvrir la profondeur et l’exaltation de son amour. Vers minuit, Gabrielle s’endormit d’un sommeil assez calme, et sa sœur demeura pensive à côté d’elle, contemplant avec une pitié mélancolique ce gracieux visage auquel la fièvre prêtait un éclat inaccoutumé, et qui semblait sourire à quelque image de bonheur. Tout à coup, par une de ces mystérieuses révélations de l’instinct, par cette seconde vue du cœur dont sont doués quelques êtres privilégiés, elle entrevit pour cette enfant si jeune et si belle tout un avenir de souffrances. Quand elle chercha à plonger ses regards dans cette sorte de miroir magique, la vision s’était éva-