Page:Gagneur - Trois soeurs rivales.djvu/79

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— Et mon mari qui peut nous voir, y pensez-vous dit-elle ?

— Ah ! je le vois bien, vous êtes devenue fière, reprit Joseph en lui lançant un regard venimeux. Aujourd’hui qu’on vous appelle madame la comtesse gros comme le bras, vous méprisez un pauvre paysan, et vous avez sans doute oublié ces lettres où vous me disiez de si belles choses sur la pauvreté et sur l’honneur d’être ouvrier ; un triste honneur que celui-là, et je m’en passerais volontiers. Si j’avais eu le bonheur d’être votre mari, comme vous me le faisiez accroire, j’aurais préféré de grand cœur, au plaisir de badigeonner des murs, celui de me promener au soleil les deux mains dans mes poches. Aussi vos lettres me donnaient-elles grande envie de rire, soit dit en passant, et si j’avais l’air d’entrer dans vos idées, c’était pour vous plaire, ma belle dame. Mais, à propos de lettres, voici ce que je suis venu vous dire : au lieu de les brûler, comme vous me l’aviez tant recommandé, j’en ai conservé quelques-unes, et des meilleures, je vous assure ; voulez-vous les voir ?

— Et vous venez me les rapporter sans doute ? dit Henriette d’un ton insinuant.

— Oui, je viens vous les rapporter, répondit Joseph en sortant de sa poche un portefeuille graisseux.

À la vue du portefeuille, le visage d’Henriette s’anima d’une subite rougeur ; son regard étincela, elle avança vivement la main pour le saisir ; mais Joseph qui l’observait, remarqua ce mouvement et remit promptement le portefeuille dans sa poche.

— Un moment, s’il vous plaît. Ces lettres pour moi sont un vrai trésor ; et, ma foi, donnant, donnant…

Il s’arrêta, laissant Henriette deviner sa pensée.