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Page:Gagnon - Chansons populaires du Canada, 1880.djvu/222

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chansons populaires

jointes sur sa poitrine, sur laquelle reposait un large feuillet d’écorce de bouleau couvert d’écriture.

Les voyageurs prirent cette écorce qui devait leur révéler le mystère de la mort de leur ami et leur en expliquer les circonstances extraordinaires ; celui d’entre eux qui savait lire lut les écritures confiées à ce papier des bois et les relut plusieurs fois, en face du cadavre à peine refroidi du brave Cadieux.

De tout ce qu’ils voyaient et de ce qui était écrit sur cette écorce, les voyageurs conclurent que le pauvre Cadieux, le cerveau épuisé par la fatigue, les veilles, l’inquiétude et les privations, avait fini, comme c’est presque toujours le cas dans ces circonstances, par errer à l’aventure jusqu’à ce qu’il fut revenu à l’endroit même d’où il était parti : qu’une fois là il avait vécu sans dessein[1], selon l’expression du vieux Morache, pendant quelques jours, se nourrissant de fruits et d’un peu de chasse, sans faire de feu dans sa petite loge de crainte des Iroquois, allant s’affaiblissant de jour en jour : que lors de leur passage dans ce lieu, deux jours auparavant, il les avait reconnus, après examen ; mais que l’émotion de la joie avait produit sur lui un choc tel qu’il resta sans parole et sans mouvement : qu’après leur départ, enfin, ayant perdu tout espoir, se sentant près de mourir et retrouvant un peu de forces dans ces moments solennels, il avait, après avoir écrit ses derniers adieux au monde des vivants, fait les préparatifs de sa sépulture, mis sa croix sur sa tombe, s’était placé dans sa fosse et avait amoncelé, de son mieux sur lui, ces branches dont son corps était recouvert, pour attendre ainsi dans la prière la mort, qu’il comprenait ne pas devoir tarder à venir.

Cadieux était voyageur, poète et guerrier ; ce qu’il avait écrit, sur l’écorce dont il est parlé, était son chant de mort. Avant de se coucher dans cette froide tombe du portage des Sept-chutes, l’imagination de celui qui avait tant vécu avec la nature s’était exaltée, et, comme il avait coutume de composer des chansons de voyageur, il avait écrit sur ce feuillet des bois son dernier chant.[2]

Il s’adresse d’abord, dans cette complainte de la mort, aux êtres

  1. Sans dessein est la traduction d’une expression sauvage qui veut dire : sans plan arrêté, sans souci, sans soin, sans but particulier, sans signification connue.
  2. On écrit sur l’écorce de bouleau, après avoir enlevé quelques feuillets intérieurs, au moyen d’une pointe ou stylet quelconque d’os ou de métal.