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six semaines dans un phare.

barque des vivres, on renouvelle les munitions de l’artillerie, on rembarque les voitures qui ont perdu leur attelage dans la bataille.

Je n’oublierai pas cette journée parce qu’elle nous offrit un touchant et douloureux spectacle. Jamais victimes de la guerre n’ont souffert avec un plus grand courage que nos pauvres blessés. Pas une seule plainte, mais le sang qui teignait nos canots nous disait combien ce calme cachait de blessures, mortelles peut-être.

J’ai tort de ne pas parler des Anglais, qui se sont conduits bravement dans cette grande journée. Vaillants au feu la veille sur les pentes de l’Alma, le lendemain, ils avaient aidé au transport des blessés avec un soin et une attention dont j’aurais cru incapables, ces hommes si rudes à la peine. Quant à leur flotte, inutile d’en parler encore. Cela viendra. Pour le moment elle est chargée de surveiller Sébastopol et de ramener nos renforts de Varna.

Le 23 septembre, à sept heures du matin, l’armée leva son camp et se mit en route pour Sébastopol, toujours sous la protection de la flotte qui longe la côte de très-près. Des petits vapeurs placés en avant-garde sondent et éclairent la marche des bâtiments.

Au moment où nous arrivons devant la Katcha une forte canonnade et des explosions successives se font entendre dans le port même de Sébastopol. C’est une partie de leur flotte que les Russes font sauter afin de barrer l’entrée de leur port par une digue sous-marine infranchissable.

La Katcha était la première étape où l’armée devait camper. C’est là que le maréchal Saint-Arnaud doit prendre une résolution suprême. Nous autres, nous ne savions pas trop ce qui se passait, les officiers eux-mêmes n’en savaient pas plus long et nous ne nous doutions guère que le plan de campagne allait