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rabamor.

Ceux-ci le suivirent avec empressement. Le nègre prit sa course vers le caïman, qui, voyant qu’on lui épargnait la moitié du chemin, redoubla de vitesse pour atteindre son déjeuner, car ces messieurs sont très-friands de chair humaine. Seulement le déjeuner, ou si vous voulez, le nègre, arrivé à quelques pas du monstre, tourna bride et se mit à fuir devant son ennemi. Celui-ci, indigné d’un pareil procédé, poursuivit le nègre, qui, arrivé à un arbre, y monta lestement. Le caïman ne se tint pas pour battu et grimpa à son tour le long de l’arbre, comme un vrai lézard. Le nègre, poursuivi jusque dans sa retraite, se sauva sur une des branches horizontales. Le caïman s’empressa de l’y suivre. Mais arrivé à l’extrémité, le nègre se laissa déposer à terre sans lâcher la branche. Aussitôt les autres nègres, accourant à son aide, saisirent cette extrémité de la branche et la secouèrent par saccades. Le caïman furieux de se voir secoué s’y cramponna tant qu’il put avec ses griffes, mais il finit par perdre l’équilibre. Il tourna le corps en bas, puis tomba à une dernière secousse. Les nègres se jetèrent alors sur lui. Le caïman s’était cassé les reins dans sa chute.

Il ne faut pas croire, monsieur Paul, que c’est par hasard que ce caïman a été tué de cette manière. C’est très-ordinaire, et tous les jours cela arrive. Mais il arrive aussi que le caïman ne se casse pas les reins, et il faut recommencer la chasse. Le nègre se garde bien de lutter par terre. Le caïman ne se laisse pas prendre deux fois au même piége, c’est sur mer qu’il l’attaque. La lutte est plus sérieuse, mais le nègre est si adroit qu’il en sort toujours triomphant. Il amène son ennemi près d’un rocher qu’il peut tourner, et il en fait faire plusieurs fois le tour au caïman, que sa carapace gêne pour ce mouvement. L’animal impatienté franchit le rocher pour atteindre son ennemi, et le nègre, qui n’attend que ce moment-là, nage entre deux eaux, passe sous le ventre de l’alligator qu’il frappe d’un coup de poi-