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six semaines dans un phare.

gnard sous la patte gauche, seul défaut de la cuirasse. Le caïman est presque toujours frappé à mort.

— Et puis si ce n’est pas vrai, nous n’avons pas le temps d’y aller voir. En tout cas, c’est très-original, mais j’aime mieux le récit de votre voyage. Je ne sais pas pourquoi, mais il m’intrigue.

Rabamor pâlit légèrement. Ce n’était qu’à contre-cœur qu’il allait raconter une des plus grandes fautes de sa vie. Mais il l’avait tant de fois rachetée !

— Des Seychelles nous allâmes mouiller à Moka et à Mascate, puis par Surate et Bombay, à Goa, une belle ville où il n’y a que des marins et des soldats et de l’herbe dans les rues. Là, le gouverneur nous chargea pour Ceylan de deux sacs de roupies d’une valeur de cinq cent mille francs.

Le soir même de notre départ, le Génois me frappa l’épaule :

— Notre fortune commence, me dit-il. Es-tu prêt ?

Je le regardai bien en face. Il ne sourcilla pas.

— Parle, lui dis-je.

— Viens, me répondit-il.

Et il m’amena sur le gaillard d’avant, où étaient réunis mes trois Provençaux, mes deux Espagnols, mon Malais, mon Maltais et enfin mon pauvre Rouget. Mais dans quel état ! Je ne sais pas quelle drogue on lui avait fait boire, les yeux lui sortaient de la tête, et il gesticulait comme un possédé. Je fus obligé pour le faire taire de lui administrer deux ou trois coups de poing, qui tombèrent sur lui comme une douche d’eau glacée.

— Ah ! bégaya-t-il, si tu en avais goûté ?

Il faut vous dire que les officiers avaient formellement interdit à bord les boissons alcooliques. Or les matelots sont comme les enfants ; ils aiment bien à faire le contraire de ce qui leur est défendu. Je demandai à goûter cette liqueur, dont le Génois