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six semaines dans un phare.

— Vous en êtes sûr ? — Parbleu ! je l’ai vu et tout l’équipage aussi. — Il y était.

— Comment, il y était ? — Oui, mais hier à neuf heures du soir, il est tombé à la mer, le navire a passé et le pauvre Babiot dort à l’heure qu’il est dans le ventre des poissons. Le capitaine baissa la tête et revint à bord ! — Enfants, dit-il, attendons-nous à quelque malheur, ce n’est pas le corps de Babiot que nous avons vu, c’est son double. À chaque tempête, nous l’avons revu, le pauvre Babiot. De retour en France, nous lui avons fait dire une messe et depuis… Ah ! ma foi ! il doit bien savoir que nous l’avons tous regretté !…

— Moi, dit Clinfoc, je n’irai pas par quatre chemins. C’est vrai et ce n’est pas vrai, mais c’est vrai tout de même. À bord de notre vaisseau, il y avait un novice que l’on envoyait larguer d’ordinaire la voile du petit perroquet : une nuit qu’il revenait de faire sa besogne habituelle, l’officier de quart lui demanda : — Pourquoi n’y es-tu pas allé seul ? Le novice regarda l’officier d’un air étonné et dit : — Mais j’étais seul. — Non. — Si. — Non, je dis. — Ah ! mais je sais bien que j’étais seul à carguer le raban de la voile. — Tu mens et, pour t’apprendre à mentir… — L’officier appela deux hommes et commanda vingt coups de garcette sur le dos du novice. Il est de fait que, moi tout le premier comme les gens de quart, nous avions vu deux formes humaines sur le marchepied de la vergue. Un novice, c’est si peu de chose qu’on ne lui demanda même point le nom du matelot qui l’avait aidé. La nuit suivante on envoie le même individu larguer la même voile. Le pauvre diable avait sur le cœur les coups de garcette qu’il avait reçus sur le dos. Une fois penché sur la vergue, il regarda au vent et sous le vent, si personne ne l’avait devancé. Personne. Tout joyeux, il largua la voile et redescendit. Mais nous avions encore vu les deux mêmes formes humaines sur le marchepied de la vergue, et le malheureux eut beau crier,