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six semaines dans un phare.

n’avait pas beaucoup voyagé, ni beaucoup souffert, si ce n’est du mal de mer. Paul ne voulut pas cependant le froisser et il le pria de lui raconter un des épisodes de sa vie.

— Il n’y en a qu’un, mais il est long, dit Antenolle.

— Nous écoutons, répondit Paul en souriant, pendant que tout le monde prenait place et que l’assurance d’Antenolle commençait à donner de l’inquiétude aux gardiens, sur la valeur et surtout la longueur du récit de leur camarade.

Antenolle commença :

— Je ne vous dirai rien de mon enfance. — Cet exorde fit éclater de rire. — Je voulais être marin, je me fis mousse. Triste métier quand on a toujours le mal de mer et toujours la fringale. Quand je n’étais pas couché sur les cadres, je rôdais autour de la cuisine. Mal à l’estomac perpétuel. Un beau matin comme le navire était fatigué de moi autant que j’étais fatigué de lui, on me déposa à Calcutta, d’où un trois-mâts bordelais devait me rapatrier.

Mais à peine à terre, je guéris comme de juste et je n’eus rien de plus pressé que de chercher à reprendre du service sur un navire qui ne rentrerait pas en France. Je voulais faire le tour du monde. Je voulais surtout forcer mon estomac à supporter les privations et le mal de mer, car pour un marin, un estomac pareil, c’est une honte.

J’avisai dans le port une corvette qui était sur le point d’appareiller. Or nous étions un vendredi, le 2 janvier, et par conséquent le premier vendredi de l’année. Triste jour pour commencer un voyage ! Je ne pus m’empêcher de faire tout haut cette réflexion, en inspectant de l’œil cette corvette sur laquelle j’aurais déjà voulu être embarqué.

— Tu as raison, petit, fit une voix à côté de moi.

Je me retournai et je me trouvai en face d’un matelot grand et fort, qui, à première vue, me parut être une de ces natures