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six semaines dans un phare.

vous dire que cet homme a des moments de folie furieuse. Il rêve qu’il est libre ou qu’il l’a été. Je le guérissais à grands coups de lanières.

— Et moi je le guérirai à coups de fouet.

L’air siffla et le sang qui coula des épaules de Zambalah lui apprit qu’il était encore et pour longtemps esclave.

De tous les noirs de l’habitation où le malheureux esclave fut employé à défricher les terres, il fut le plus laborieux, le plus sobre, le plus intrépide. Zambalah s’était soumis à sa destinée. Il attendait. Rien de plus patient qu’un nègre qui couve sa vengeance, rien de plus terrible que le nègre qui se venge. Je les ai vus à l’œuvre.

Son maître, satisfait de ses services, dit un jour à Zambalah :

— Je suis content de toi. Que veux-tu pour récompense ?

— La liberté, dit l’esclave.

— Qu’en ferais-tu ?

— J’irais de par le monde chercher l’homme qui m’a vendu quand j’étais libre et le tuer, répondit Zambalah.

— Voilà ta folie qui te reprend. Prends garde au fouet.

— Pardon, maître, je n’en parlerai plus.

Un soir que le planteur était à Saint-Paul, il se vit forcé de partir pour Saint-Denis et se décida à faire la traversée à l’aide d’une de ces rapides pirogues que les noirs sont si adroits à manœuvrer. Zambalah gouvernait l’embarcation qui volait sur les eaux, et, la brise aidant un peu, on devait arriver avant la nuit au périlleux débarcadère, la capitale de Saint-Denis. Mais qui peut répondre à Bourbon d’entrer dans le port ? Déjà l’on voyait la plage de galets, quand une chaleur étouffante se fit sentir ; la mer devint unie comme un lac d’huile, puis le ciel se montra tout brillant d’azur. À la côte, les arbres cessent leurs ondulations et se reflètent dans le cristal paisible des flots, tandis que sur le fort de Saint-Denis s’élève un pavillon noir. Un terrible raz