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antenolle.

de marée était signalé, et les navires à l’ancre jetaient leurs signaux de détresse.

C’est qu’on ne connaît pas beaucoup la valeur de ce mot lugubre : raz de marée ! — Ceux qui croient qu’il n’y a de tempête sur l’Océan que lorsque la foudre éclate et tombe, lorsque les vents tourbillonnent, et que les eaux s’amoncèlent, ne savent pas que le raz de marée est le plus terrible des fléaux de la mer. Il a lieu dans les détroits, les canaux et le long des îles volcaniques, quand les feux sous-marins n’ont pas assez de force pour faire surgir de nouvelles montagnes.

Tout est silencieux et frais à terre et dans les airs. L’Océan seul se gonfle, bondit et retombe. Les ancres dérapent, les gros câbles se brisent, les voiles coiffent les mâts. Toute manœuvre est inutile, tout effort est impuissant. Il n’y a qu’à se croiser les bras, faire sa prière si on est chrétien, dire adieu à sa famille si on en a encore et attendre la mort.

Au milieu de ce calme si parfait de la terre et du tumulte des flots, Zambalah et son maître se regardaient sans rien dire et les nègres de l’embarcation chantaient leur hymme de mort.

— Eh bien, dit le colon à son pilote, vois-tu un moyen de nous sauver ?

— Aucun. Dans quelques heures je serai aussi libre que vous. Ah ! que je voudrais vivre pour le retrouver !

— Qui donc voudrais-tu retrouver ?

— Mon premier maître, celui qui m’a vendu quand j’étais libre.

Et la barque bondissait au gré de la lame, au milieu des mille débris des navires à l’ancre que les flots avaient fait déraper. Sur la plage, le peuple et les soldats recueillaient tous ceux qui étaient échappés à la mer. La pirogue du planteur a le sort des autres, elle chavire et s’engloutit. Zambalah, qui ne veut pas mourir sans vengeance, lutte contre les flots et se trouve côte à côte avec son maître, auquel il présente un débris de vergue dont