Page:Garnier - Six semaines dans un phare, 1862.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
352
six semaines dans un phare.

Il y avait encore à bord une trentaine de nègres qui, au lieu de nous attaquer, vinrent nous supplier de les sauver. Tombaleau les rassura et leur dit que nous allions faire nos efforts pour nous sauver tous, s’ils voulaient nous aider. Ils acceptent et nous voilà à la besogne.

Sous la direction du tonnelier nous amarrons toutes les mâtures de rechange qui composaient la drôme, le guy, la corne, les deux basses vergues et la civadière, ça nous fait une première planche très-solide. Nous étions donc assurés d’avoir un bon radeau. Deux jours après, notre travail était complétement achevé. Il ne nous fallait plus qu’un souffle de brise pour nous éloigner.

Par malheur un calme plat nous force à rester en panne. Moi, dont l’estomac était calmé et qui avais plus travaillé que d’habitude, j’avais une faim canine et je voyais bien, non-seulement que mes compagnons avaient faim aussi, mais que les nègres faisaient entendre de sourdes menaces, ce qui voulait tout simplement dire : « Blanc, bon à manger. » Je fais part de mes craintes à Tombaleau, qui me dit d’aller à la recherche de vivres dans le navire.

Je trouvai d’abord des sacs de biscuits un peu endommagés par l’eau de la mer, du lard et un jambon que je m’empressai de cacher sous ma veste, puis quelques bouteilles de rhum et de l’eau fraîche. Aidé des nègres, je fis descendre ces provisions sur le radeau. Ce fut un seul cri de joie. On était sûr de ne pas mourir de faim, du moins de quelques jours.

Seulement, les nègres affamés et impatients, pendant que nous faisions sécher notre biscuit, avalaient le leur, tout imprégné de l’eau de mer. Il arriva alors ce qui devait arriver. Les Africains, pris de coliques atroces, tombèrent comme des mouches. Ce qui les acheva, c’est qu’ils découvrirent à fond de cale un tonneau d’eau-de-vie. Inutile de vous dire ce qu’ils en firent.