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récit de chasse-marée.

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spectacle que Robert leur avait donné, qu’ils se relâcheraient peut-être de leur surveillance habituelle. Ça ne manqua pas.

Pour nos derniers préparatifs, nous avions confectionné deux sacs en toile goudronnée et suiffée en dehors afin de garantir nos vêtements et nos provisions de bouche des atteintes de l’eau. En outre, comme les nuits étaient très-fraîches et que, par conséquent, la mer devait s’en ressentir, nous nous frottâmes le corps avec de l’huile et de la graisse. Au sac étaient arrimées des cordes qui devaient le soutenir sur nos épaules, et dans l’intérieur étaient des biscuits, un flacon de rhum, une lime, un poignard et deux paires de patins. Ces patins devaient nous permettre de marcher sans trop nous enfoncer dans les îlots de vase qui séparaient la mer de la campagne de Plymouth où nous devions aborder.

Dès que l’heure fut venue, nous nous dépouillâmes de tous nos vêtements, que nous enveloppâmes dans nos sacs, et nous nous mîmes à ramper comme des serpents le long du faux pont vers notre trou que nous avions encore à ouvrir. Ce fut l’affaire de cinq minutes ; une fois là, Robert voulut passer le premier : mais j’étais le plus jeune, et s’il y avait à essuyer le feu d’une sentinelle, il valait mieux que ce fût le plus faible des deux : malgré son opposition je tins bon. Il m’embrassa et, m’ayant fait ses dernières recommandations, il me montra le chemin.

Je pris la corde et je m’affalai à la rivière. Quoique mon corps fût enduit de graisse, le froid me saisit et paralysa mes forces. Heureusement que Robert ne tarda pas à me rejoindre et me saisit avec cette poigne que vous lui connaissez.

— Allons courage ; nage sans bruit et en avant, me dit-il à l’oreille.

La nuit était fort sombre. Nous nous attendions à voir un éclair illuminer le ciel et une balle nous siffler aux oreilles. Nous fûmes rassurés, quand, un quart d’heure après, nos pieds touchèrent la vase. Pour conserver mes forces, je voulus prendre terre,