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six semaines dans un phare.

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mais ma jambe s’enfonça dans la vase, et le poignet de Robert me remit encore à flot. Tout en me soutenant, il m’ordonna de chausser les patins : quand je fus chaussé j’étais tellement transi que je ne pouvais me tenir debout. Une gorgée de rhum que j’avalai, la joie de penser que j’étais hors de portée des sentinelles et qu’un pas nous séparait de la liberté, me rendirent bientôt mes forces.

Après avoir traversé un îlôt de vase, nous nous retrouvâmes dans une rivière qui avait son embouchure près du port de Plymouth. La marée montait et nous nous laissâmes porter vers le rivage. Mais à mesure que nous avancions, nous nous apercevions qu’au lieu de nous diriger vers la terre, nous entrions dans le port ; notre position devenait désespérée. Les forces me manquaient, et le froid m’avait tout engourdi. Robert me soutenait de temps en temps ; des gorgées de rhum nous ranimaient, et pourtant nous n’avancions qu’avec peine. Bientôt Robert lui-même perdit toutes ses forces, et, privé de son appui, j’allais me noyer quand un mot vint me ranimer.

— Terre ! dit Robert.

À cette pensée que j’allais enfin sortir vivant de cette mer glaciale, mon corps retrouva son énergie, mes membres, leur souplesse, et je me mis à frapper vigoureusement l’eau avec les jambes pour prendre terre sans plus tarder. Au même instant, je ressentis un choc si violent que je crus m’être brisé la tête. Je venais de me heurter contre les flancs d’un navire. Vingt secondes plus tard, je trouvais l’échelle du bord, et, suivi de Robert, je montais sur le pont.

Il était à peu près une heure du matin, nous ne trouvâmes pas un seul homme de garde. Ce n’était donc pas un navire de guerre, mais il fallait aussi qu’il ne fût pas anglais.

Un chien énorme nous reçut à notre arrivée ; une barre d’anspect que je trouvai fort à propos sous ma main me permit de