Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/232

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Cette lettre enjouée et moqueuse ramena tout à fait les idées de Paul aux sentiments de la vie réelle. Il s’habilla, ordonna de faire avancer la voiture, et bientôt le voltairien Scazziga fit claquer son fouet incrédule aux oreilles de ses bêtes qui se lancèrent au galop sur le pavé de lave, à travers la foule toujours compacte sur le quai de Santa Lucia.

« Scazziga, quelle mouche vous pique ? vous allez causer quelque malheur ! » s’écria M. d’Aspremont. Le cocher se retourna vivement pour répondre, et le regard irrité de Paul l’atteignit en plein visage. — Une pierre qu’il n’avait pas vue souleva une des roues de devant, et il tomba de son siège par la violence du heurt, mais sans lâcher ses rênes. — Agile comme un singe, il remonta d’un saut à sa place, ayant au front une bosse grosse comme un œuf de poule.

« Du diable si je me retourne maintenant quand tu me parleras ! — grommela-t-il entre ses dents. Timberio, Falsacappa et Gelsomina avaient raison, — c’est un jettatore ! Demain, j’achèterai une paire de cornes. Si ça ne peut pas faire de bien, ça ne peut pas faire de mal. »

Ce petit incident fut désagréable à Paul ; il le ramenait dans le cercle magique dont il voulait sortir : une pierre se trouve tous les jours sous la roue d’une voiture, un cocher maladroit se laisse choir de son siège, — rien n’est plus simple et plus vulgaire. Cependant l’effet avait suivi la