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titude des assonances. Il pensait visiblement à autre chose. Cette besogne ne devait pas lui être bien payée.

Le manuscrit, d’ailleurs, n’a vraiment pas été favorisé. Après le scribe, un correcteur est venu, qui a changé quelques termes trop archaïques, réparé quelques omissions, rectifié la mesure de quelques vers, complété ou ajouté quelques mots, effacé ou gratté çà et là quelques lettres. Ses additions (qui sont placées soit en interligne, soit en marge), ses suppressions et ses corrections sont généralement sans critique et sans valeur. Peut-être faut-il y voir l’œuvre d’un jongleur qui voulait rajeunir un texte vieilli. Quel que soit le correcteur, il est digne du scribe[1].

Par bonheur, une rédaction antique de la Chanson de Roland nous a été conservée par un très-précieux manuscrit de la bibliothèque Saint-Marc, à Venise[2].

Ce manuscrit a dû être exécuté entre les années 1230 et 1240. Il offre deux graves défauts.

Tout d’abord, il a été écrit par un scribe fort ignorant et en un français déplorablement italianisé ;

Et, en second lieu, il ne nous offre la version primitive que jusqu’au vers 3682 de notre texte d’Oxford. À partir de là, le copiste italien n’a plus eu sous les yeux qu’un de ces remaniements dont nous aurons lieu de parler tout à l’heure, et qui était orné d’un long récit de la prise de Narbonne par Aimeri.

Toujours est-il que nous possédons en double la version d’environ 3500 vers de notre poëme. Et telle est la plus précieuse ressource qui soit à notre disposition pour établir notre texte critique.

Mais nous nous servirons aussi de ces remaniements où il est aisé de retrouver tant de vestiges du texte primitif.

Vienne le jour où quelque érudit déterrera, au fond de quelque bibliothèque de France, d’Espagne ou d’Angleterre, le manuscrit original de notre Iliade. Bien que cette découverte puisse être une rude épreuve pour tous les faiseurs de textes critiques, nous l’appelons de tous nos vœux et la saluerions de tout notre cœur. Espérons.

  1. V. p. 400, un fac-simile du manuscrit d'Oxford.
  2. Mss. français, IV.