Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/45

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Mais la postérité, séduite par le charme enivrant de ses vierges et de ses nymphes, lui a donné un trône d’ivoire parmi les Dieux de l'Art dans l’Olympe de la peinture.
Le musée du Louvre n’est pas si riche en Corrège que la galerie de Dresde ; mais les deux qu’il possède sont de première beauté et peuvent compter comme des diamants dans l’écrin du maître. L’un est profane, l'autre est sacré, et chacun montre le génie de l’artiste sous une face particulière. Qui ne connaît l'Antiope et le Mariage mystique de sainte Catherine ?
Antiope, nonchalamment couchée sur une draperie bleue, un bras arrondi au-dessus de la tête, dort sans se douter que le secret de ses charmes est trahi, et que Jupiter, sous la forme d’un satyre, mais conservant encore, malgré ce déguisement, sa majestueuse beauté d’Olympien, a soulevé le voile qui les cachait d’une main libertine et curieuse. Penché vers la nymphe, le dieu contemple ce beau corps assoupli par l’abandon du sommeil. Dans sa blancheur tiède et blonde, baignée de demi-teintes, qui en noient les contours et lui donnent les rondeurs de la vie, sous ce torse d’une grâce si molle et si tendre, on sent pourtant les détails d’anatomie perdus dans la masse par une science qui se dissimule sous le charme ; car il ne faut pas oublier que Corrège est, avec Michel-Ange, un des plus savants dessinateurs du monde. Aux pieds de l’Antiope, l’Amour, ayant près de lui son carquois, fait semblant de dormir, couché sur le gazon, dans une