Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/44

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dernier est postérieur en date, n’a dessiné d’un style plus grand et plus fier. De plus, ce dessin est enveloppé d’une couleur admirable. Corrège est peut-être le plus original des peintres. Il se forma tout seul et tira tout de lui-même. Quelques recherches qu’on ait faites, on n’a pu retrouver avec certitude le nom d’aucun de ses maîtres, et il ne paraît pas qu'il soit jamais sorti de son pays natal. Ses prétendus voyages à Rome, à Venise, à Florence, ne sont rien moins que prouvés. Il ne doit rien qu’à son génie et à la nature, qui l’avait si heureusement doué. Cette perfection, il l’acquit tout de suite et comme sans effort. A vingt ans à peine, il était déjà en possession complète de son talent. A peine si, dans ses deux ou trois premiers tableaux, on aperçoit quelque sécheresse et quelque symétrie qui les rattachent à l’école antérieure. Comme Raphaël, dans une vie assez courte, il parcourut le cycle tout entier de l’art, avec cette différence qu’il travaillait seul et n’avait pas, pour prêter des mains à sa pensée, une armée d’élèves enthousiastes et respectueux, pour la plupart grands peintres eux-mêmes. Sans avoir été pauvre, comme le racontent des biographes, plus amis du pathétique que du vrai, il n’eut pas cette vie éclatante, bienheureuse, protégée des dieux et des hommes, qui fut la récompense de l’ange d’Urbin. Quoiqu’il n’épargnât rien pour en éterniser la durée, qu’il employât les couleurs les plus chères, les toiles et les panneaux les plus soigneusement préparés, ses chefs-d’œuvre, de son vivant, furent payés des prix relativement médiocres.