Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/49

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et des serviteurs versent dans de grandes amphores, magnifiquement sculptées, la fade boisson transmuée en généreux breuvage. Mais à qui fera-t-on croire que ce somptueux palais, aux colonnes de marbre et de porphyre, aux riches balustrades découpant leur blancheur sur l’azur, ait une cave si pauvrement montée ? Les vins d’Espagne, de Chypre, de Samos doivent remplir les celliers. Mais qu’importe tout cela ! il s’agit de donner aux yeux la fête la plus splendide que puisse réaliser la palette, et, certes, le thème que s’est posé l’artiste est bien rempli. C’est le plaisir de la peinture en elle-même poussé à sa dernière puissance, en dehors de l'idée. du sujet et de la vérité historique. On est charmé, étonné, ravi par des moyens purement pittoresques, par la beauté du ton, par l'accord des nuances, par l’équilibre des formes. Certaines musiques de Rossini nous ont produit le même plaisir d’art pur que les tableaux de Paul Véronèse. Elles enchantent par la beauté propre de la mélodie, indépendamment de toute pensée, de toute passion et de tout drame. C’est une jouissance de dilettante, et aucun peuple ne le fut plus que le peuple vénitien.
Dans cette gigantesque composition, une des plus grandes que la peinture ait entreprises, Paul Véronèse a introduit les portraits d’un grand nombre de personnages contemporains célèbres. Une tradition écrite, conservée dans le couvent de Saint-Georges-Majeur, où les Noces de Cana étaient primitivement placées, et communiquée à Zanetti, en indique les noms, comme une de ces clefs qui servaient à