Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le type espagnol dans l'Adoration des Bergers. Ses beaux yeux noirs sont pleins de lumière, et si ce n’est pas tout à fait la Marie du ciel, c’est du moins la Marie de la terre, aussi belle que le pinceau la puisse rendre. L’Enfant Jésus repose dans une crèche de bois garnie de paille, qu’entourent trois bergers et une femme en adoration. Ils n’ont pas l’or, l’encens et la myrrhe comme les Rois Mages, mais ils offrent ce qu’ils possèdent, le tribut opime de leur pauvre richesse, un petit chevreau nouveau-né. Dans le fond, un ange annonce l’heureuse nouvelle à des bergers qui paissent leurs troupeaux sur la montagne. Mais, sous cette douceur voulue, on sent la force qui se contient et le coloris, quoique lumineux et blond, a une vigoureuse intensité.
Tout récemment, de la galerie Pourtalès au musée du Louvre, est passée la Tête de Condottiere d’Antonello de Messine, une merveille, un chef-d’œuvre, un miracle de la peinture. Cet Antonello de Messine, qui n’avait pas reculé devant un crime pour s’assurer le secret de la peinture à l’huile, pour avoir été un scélérat, n’en est pas moins un grand artiste. Il a imprimé, à cette dure et farouche physionomie, un tel cachet de vie, de force et de réalité, qu’il vous semble avoir l’homme même devant les yeux, l’homme physique et l’homme moral. C’est l’absolu du portrait. Le style le plus fier s’y allie admirablement à la vérité la plus exacte. Le dessin serre les formes avec une précision étonnante, et une couleur inaltérable, comme celle de la mosaïque, s'étend sur un modelé d’une finesse et d’une vigueur sans