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ISOLINE

deux êtres eussent pu se croire seuls au monde. Isoline ne vit jamais d’enfant ; elle croyait que tout finissait aux murs du jardin, et l’humanité pour elle c’était Marie et la chèvre blanche.

À six ans, la fillette s’adoucit un peu, elle devint plus posée, plus questionneuse. Marie versa dans cette jeune âme les trésors de son esprit résigné et naïvement poétique. Elle lui raconta les légendes qu’elle savait : les fées des grèves, habillées d’algues, se cachant dans les grottes profondes où elles attirent le pêcheur imprudent, les villes merveilleuses englouties par les flots et dont on aperçoit encore, quand l’eau est claire, les clochers d’argent et les palais de pierreries, les biches blanches changées en princesses et récompensant le chevalier qui les a épargnées, les elfes, les lutins, les enchanteurs dans les forêts fleuries. Il y avait aussi des fils de roi, qui allaient conquérir pour leur père une clé d’or ou quelque relique précieuse.

— « Qu’est-ce qu’un père ? » demandait l’enfant.

Alors Marie s’attristait ; elle essayait de lui faire comprendre que le père était le maître de l’enfant, qu’il fallait se soumettre à lui, ce qui était doux et facile lorsqu’on était aimé, mais bien triste lors-