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L’ORIENT.

cageuses où les brumes malsaines s’étalent sur les eaux plombées.

Le camp turc présentait un aspect des plus pittoresques. Cette série de tentes coniques d’un vert pâle usé par le soleil, ces huttes de paille entre lesquelles circulaient ces physionomies bronzées, ces hommes à l’air calme, grave, résolu, mêlant l’accomplissement de leurs devoirs religieux à leurs obligations militaires, donnaient au campement quelque chose de tout particulier. Au milieu de soldats qui manœuvraient, faisaient la cuisine, allaient chercher de l’eau, fendaient du bois, ou préparaient des fours dans le sable pour y faire cuire le pain, on en voyait d’autres se détacher d’un groupe, étendre leur tapis, s’agenouiller, incliner le front jusqu’à terre, invoquer Dieu en chantant lentement d’abord et en accompagnant leur prière d’une oscillation de corps, à la manière des derviches hurleurs, puis s’animer, se balancer et tirer du fond de leur poitrine ces pieux rugissements que nous avons entendus au tekké des derviches de Scutari, sans faire naître