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SALAMMBÔ.

tigatrice aux rives où fut Carthage, adaptant la science acquise à la configuration des lieux, interrogeant les flots rapides qui cachent tant de secrets, frappant le sable du talon pour en faire sortir une réponse à un doute, s’imprégnant de la couleur du ciel et des eaux, se logeant dans la tête la forme des promontoires, des collines, des terrains, de façon à bien planter le décor de son drame et de sa restauration, car Salammbô est à la fois l’un et l’autre.

La lecture de Salammbô est une des plus violentes sensations intellectuelles qu’on puisse éprouver. Dès les premières pages, on est transporté dans un monde étrange, inconnu, surchauffé de soleil, bariolé de couleurs éclatantes, étincelant de pierreries, au milieu d’une atmosphère vertigineuse, où se mêlent aux émanations des parfums les vapeurs du sang. Le spectacle de la barbarie africaine, avec ses magnificences bizarres, ses idoles bestiales, ses cultes féroces, son symbolisme difforme, sa stratégie de belluaire qui fait intervenir les monstres du désert dans les