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SALAMMBÔ.

quetis des plats, le choc des coupes et le bruit des mâchoires. Les montagnes de viandes disparaissent, les pyramides de fruits s’écroulent, les mets insolites aux assaisonnements exotiques sont ingurgités par ces appétits de Polyphème. Les esclaves en vain font la chaîne des cuisines aux tables. Des amphores le vin ruisselle en cascades rouges sans pouvoir laver dans ces gosiers arides la poudre des anciennes batailles. Bientôt la nuit tombe. Les lueurs du pétrole enflammé dansent sur les cratères d’airain, jetant des scintillations inattendues aux reliefs des orfèvreries et faisant glapir d’effroi les singes sacrés dans l’épaisseur des feuillages. L’ivresse, qui jasait d’abord à mi-voix sur les lèvres épaissies, éclate en chants obscènes, en cris farouches, en hurlements orgiaques, en défis insensés : ce qui restait de l’homme dans cette foule a disparu. Les uns, étendus à plat ventre, appuyés sur les coudes, déchirent à belles dents, comme des lions, un quartier de bœuf ; les autres boivent, plongeant la tête dans leurs écuelles, ainsi que des animaux à l’abreuvoir ;