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L’ORIENT.

puis, le délire armant à son comble, les Mercenaires s’abandonnent à des gaietés énormes, à des facéties d’une brutalité colossale ; ils délivrent les esclaves de l’ergastule ; ils demandent les coupes de la légion sacrée ; tuent à coups de flèches les lions de la ménagerie au fond de leurs fosses ; s’amusent à rendre camards les éléphants d’Hamilcar, en leur abattant la trompe ; pèchent dans le vivier les poissons ornés d’anneaux en pierreries, fétiches domestiques de la famille Barca, et les font frire sans nul respect, bien qu’ils descendent des lottes primordiales qui ont fait éclore l’œuf mystique où se cachait la déesse. Pour éclairer ces divertissements, comme si la lueur des flambeaux et des trépieds ne suffisait pas, ils mettent le feu aux arbres, et l’effrayante bacchanale, qui tourne au pillage et au massacre, se démène, à travers des flots de fumée rougeâtre, sur les tapis de pourpre déchirés, les vaisselles en pièces, les cadavres des serviteurs assommés, dans un ruissellement de vin et de sang, en hurlant sa clameur polyglotte.