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SALAMMBÔ.

Tout à coup, au dernier des étages en retraite du palais, dont la sombre masse domine les jardins, une porte s’ouvre, et laisse passer, dans un effluve lumineux, une figure étincelante, d’une beauté sidérale, qui descend le grand escalier d’ébène, accompagnée d’un cortège d’eunuques pinçant les cordes de grandes lyres. C’est Salammbô, la fille du suffète Hamilcar, une vierge fervente aux mystères de la déesse Tanit, et qui de ses longues adorations à l’astre des nuits garde comme une sorte de reflet argenté et de pâleur lunaire. À la vue de cette apparition baignée de voiles, étoilée de pierreries, que semble envelopper une atmosphère divine, et dont la lente démarche est réglée par une chaînette d’or reliant les chevilles, l’orgie stupéfaite s’arrête un moment. Salammbô déplore les poissons sacrés, invective les barbares qui la regardent, éblouis, et mêle à ses malédictions de vagues souvenirs théogoniques d’un sens profond et mystérieux, en langue chananéenne, idiome inconnu aux Mercenaires, frappés seulement de la musi-