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SALAMMBÔ.

l’imprudence qui ont touché au voile de Tanit !

Cette réduction au trait d’un tableau ardemment coloré n’en donne sans doute qu’une idée bien incomplète, mais elle en indique les masses principales, et peut faire du moins comprendre cette gigantesque composition si en dehors des habitudes littéraires de l’époque. Une impersonnalité absolue y règne d’un bout à l’autre, et jamais la main de l’auteur ne s’y laisse apercevoir. Les images du monde antique semblent s’y être fixées toutes seules comme sur un miroir de métal poli qui aurait gardé leur empreinte. Cette empreinte est si vive, si nette, si juste de forme et de ton que le sens intime en affirmerait la réalité, quoique le modèle en soit depuis longtemps disparu. M. Gustave Flaubert possède au plus haut point l’objectivité rétrospective. Il voit (nous soulignons exprès le mot pour lui donner toute sa signifiance spirituelle) les choses qui ne sont plus dans le domaine de l’œil humain avec une lucidité toute contemporaine. Dans son livre