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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

qu’il faut être. Un travailleur consciencieux tel que Sainte-Palaye peut détruire l’œuvre de l’écrivain le plus influent de son temps, d’un Voltaire. Il ne lui faut qu’une chose pour en arriver là : être dans le vrai.

Cependant, au nez de Voltaire lui-même, les exemplaires de la Bibliothèque bleue circulaient dans toute la France. Galien le restauré et la Conqueste du grand Charlemagne avaient plus de popularité que l’Essai sur la poésie épique. Nos Romans, défigurés, méconnaissables, avaient encore des milliers ou plutôt des millions de lecteurs[1]. Mais les classes lettrées et riches les avaient décidément oubliés. Tout ce qui portait de la poudre et des mouches ignorait Roland et nos épopées nationales. En serait-il toujours ainsi ? Cette ignorance était-elle invincible ? — Non, répondirent MM. de Tressan et de Paulmy d’Argenson.

M. de Paulmy d’Argenson eut un jour une idée : sous les yeux avides des lecteurs de son temps, il entreprit de faire successivement passer les Romans de tous les siècles et de tous les pays. Belle entreprise, mais à laquelle il était médiocrement préparé. Si l’on commençait une telle œuvre en l’an de grâce 1871, on s’attacherait sûrement à offrir au public les textes originaux et sévèrement contrôlés de chacune de ces fictions, que l’on comparerait entre elles et dont on montrerait les sources. Telle est la méthode critique de notre temps ; mais ce n’était pas celle du xviiie siècle. Au lieu de présenter leurs romans sous leurs véritables habits, MM. de Paulmy et de Tressan leur donnèrent à tous, uniformément, les habits de leur siècle, la jaquette dorée, la poudre et les mouches. On travestit ainsi un grand nombre de Chansons de

  1. V. les éditions de Galien restauré, chez Nicolas Oudot, à Troyes, en 1660 ; chez Jean Oudot, à Troyes, 1679 ; chez Gabriel Bridan, en 1683 ; — de Fierabras, chez Vve Louis Costé, à Rouen, en 1640, etc. ; — de Morgant le Géant, chez Rigaud, à Lyon, en 1613 ; chez Nicolas Oudot, à Troyes, en 1625, etc. Ces publications populaires se sont poursuivies pendant tout le xviiie siècle et ont abouti aux éditions de Galien restauré et des Conquestes du grand Charlemagne qui ont été publiées, au commencement de ce siècle, chez Deckherr, à Montbéliard, etc., etc. Les réimpressions de la Bibliothèque bleue ont été incessantes et sans aucune solution de continuité.