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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

ment d’un devoir… Quoi qu’il en soit, nous connaissons maintenant le germe, l’humble germe de notre poëme national : « Comme Charles revenait de son expédition d’Espagne, en 778, son Arrière-garde fut attaquée par des montagnards basques. Un certain Roland périt dans cette affaire avec beaucoup d’autres. » Ô petits commencements d’une grande chose !


II. — comment naît un poëme épique


Pour qu’une plante sorte du sol, s’élève, croisse et s’épanouisse au soleil, il ne suffit pas que le germe en ait été déposé dans la terre : il lui faut encore un certain milieu, une certaine température, je ne sais quel heureux mélange d’humidité et de chaleur.

Il en est de même d’une Épopée. Le Germe ne suffit pas, et, pour qu’elle arrive à son terme, plusieurs autres conditions sont de rigueur. Nous allons les énumérer ici, pour avoir la joie de constater bientôt qu’elles ont été surabondamment remplies par notre Épopée nationale…

Tout d’abord, l’Épopée véritable, populaire, spontanée, n’est jamais née et ne peut naître qu’à une époque sincèrement primitive, à un moment où le sens historique n’existe pas encore, où la légende règne, et règne sans rivale.

Pour que l’Épopée existe, il lui faut non-seulement un moment, mais un milieu spécial. Si l’Hymne, l’Ode, la Poésie lyrique sont essentiellement humaines, l’Épopée est essentiellement nationale. Certaines fleurs ne croissent que dans la terre de bruyère : l’Épopée, elle, ne croît que dans un peuple, ou plutôt dans une patrie. Il lui faut une nation déjà formée et ayant conscience d’elle-même ; il lui faut surtout une nation qui réunisse quatre qualités dont l’assemblage n’est point rare en des temps simples : religieuse, militaire, naïve et chanteuse. J’ajouterai que cette nation ne doit pas être, à l’heure où se