Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous croyez à ces momeries ? lui dit Bussy.

Le fakir s’était levé, il s’approcha du jeune homme qu’il regardait attentivement depuis un instant.

— Tu n’y crois pas, toi ?

— Non, certes, répondit Bussy, tu peux prédire tout ce que tu voudras, l’avenir est loin ; mais je te mets au défi de me dire quelque chose de mon passé, capable de m’étonner.

Le fakir dardait sur de Bussy un regard fixe et étincelant, il lui posa la main sur l’épaule et dit lentement, après un silence :

— T’ai-je fait mal en appuyant sur la blessure récente que t’a faite un tigre ?

Le marquis eut un tressaillement et devint pâle.

— J’avoue mon émotion, dit-il ; serait-il possible que l’on pût voir dans l’inconnu de la destinée !

— Je vois à travers le temps et l’espace aussi aisément que j’ai vu la cicatrice à travers l’étoffe de ton vêtement, et cela par un pouvoir spécial que j’ai acquis dans la méditation.

— Un pouvoir magique !

— Est-elle magique la longue-vue qui approche jusqu’à tes yeux ce qui est hors de leur portée ? dit gravement le fakir ; bien des choses terrestres semblent impossibles qui ne sont qu’inconnues. J’ai été, moi, dans un triple cercueil trois fois scellé, enfermé pendant six mois, dans un tombeau maçonné et recouvert de terre. On avait semé et moissonné le blé au-dessus de moi. Quand on descella le tombeau, quand on vit mes yeux se rouvrir et qu’on m’entendit parler, la foule se prosterna, le roi se jeta à mes