Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/127

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arrivaient jusque-là, un peu étouffés. Bussy, debout devant une fenêtre, voyait les groupes aller et venir sous les illuminations du jardin. Les bouchons de champagne sautaient toujours, et les couples de danseurs tournoyaient sous le vélum doucement agité par la brise.

Mais la foule s’éclaircissait ; on entendait rouler les carrosses sur le pavé de la cour d’honneur ; une lueur rose emplissait déjà le ciel.

Dupleix entra par une porte dérobée.

Un pli vertical, entre ses sourcils, indiquait seul une vive préoccupation : hors cela, l’expression du visage était sereine, avec une fièvre d’héroïsme dans les yeux. Il se laissa tomber dans un fauteuil, lassé d’être debout depuis tant d’heures.

— Messieurs, dit-il, des événements graves, que j’avais prévus, mais qui arrivent plus tôt que je le craignais : le nabab du Carnatic assiège Madras.

Il y eut une exclamation presque muette.

— Vous savez que j’avais promis à Allah-Verdi de lui remettre cette ville ; mais dans mon idée c’était après l’avoir démantelée. La malheureuse obstination de La Bourdonnais ne m’a pas permis de tenir ma promesse et l’orgueilleux musulman se fâche.

— Eh bien, il faut la tenir aujourd’hui, s’écrièrent les plus anciens membres du conseil, il faut rendre Madras au nabab.

— Non, messieurs, non, ce n’est pas mon avis, répliqua vivement Dupleix ; il est impossible de démolir les remparts sous les yeux de l’ennemi, et rendre la ville telle qu’elle est serait une véritable