Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/158

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son cœur un nom chéri ; que les lèvres laissent envoler loin d’elles celui qu’on déteste !

— Mais en passant il brûle et en s’enfuyant il reste, dit la reine, comme le dard que l’on arrache et qui laisse son venin.

— Ah ! je t’en conjure ! sois plus courageuse ! chasse de ton esprit toutes ces images qui le troublent. Songe plutôt que si le saint fakir, à la science incomparable, que tu vas consulter dans la pagode en ruine de Sadraspatnam, te conseille d’accorder la rançon que l’on réclame, acquittée envers ton sauveur, tout lien sera rompu avec lui, et que l’obsession cessera ; songe plutôt qu’il était peut-être parmi les combattants, qu’il a pu être tué et que tu es délivrée de lui.

— À la pensée de sa mort possible, il me semble qu’un glaçon se dissout dans mon cœur. C’est ainsi que la joie se manifeste, si violente qu’elle me cause une souffrance.

Lila jeta sur la reine, entre ses longs cils satinés, un regard indéfinissable. C’était un mélange de malice, de curiosité et d’inquiétude ; un coup d’œil pénétrant et voilé, cherchant à deviner un secret et cachant une pensée secrète.

— Quittons ces lieux, allons rejoindre notre escorte, ma divine amie, dit-elle après un moment, nous sommes seules ici et trop près de ces barbares que tu redoutes.

— C’est vrai ; partons, dit Ourvaci, en jetant un dernier regard sur Méliapore, où flottait maintenant, triomphalement, le drapeau blanc de la France.