Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/157

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dernier regard vers celle qu’il venait de quitter. Droite sur son cheval, au sommet de la colline, qui lui faisait comme un piédestal, elle demeurait immobile, le front penché. Dans l’azur profond du ciel, sa stature élégante paraissait grandie, et le cimier de pierreries jetait des flammes.

— Quelle merveille, cette femme ! murmurait Chanda-Saïb ; le prince Salabet-Cingh est vraiment un homme heureux.

Au sommet de la colline, Lila soupirait, n’osant interrompre autrement la rêverie de la reine, qui semblait changée en statue. Cependant le soleil brûlait ; il était dangereux de rester ainsi exposées. La princesse approcha son cheval tout près d’Ourvaci.

— Lila, dit la reine rêveuse, n’as-tu pas entendu tout à l’heure ?

— Quoi donc ?

— Ce nom, ce nom maudit a passé par mes lèvres : comme malgré moi, je l’ai prononcé, et n’est-ce pas là une nouvelle souillure ? Je suis humiliée de le savoir et courroucée de ne pouvoir l’oublier.

— Un nom, ce n’est rien cela, dit la princesse en riant.

— Que dis-tu, enfant ! le nom c’est l’image même de l’être, c’est sa présence dans l’absence, son existence supérieure dans le royaume de l’esprit. Tu sais bien que par pudeur, autant que par tendresse, les femmes hindoues ne prononcent pas à haute voix le nom de leur époux ; elles le gardent en elles-mêmes comme un trésor.

— Eh bien, dit Lila, si, par amour, on conserve en