Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/212

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Naïk baissa la tête en silence, et Bussy s’enfonça sous les beaux ombrages, cherchant la tente du général.

Le comte d’Auteuil, que sa blessure retenait couché, avait fait porter son lit sous un buisson de jasmins, près d’une fontaine de marbre rose, et s’amusait à jeter des miettes de pain aux poissons. C’était un homme qui portait bien la soixantaine, brave, simple, manquant un peu de vivacité et de décision.

Bussy s’informa d’abord de sa santé.

— Ma foi, s’écria gaiement le général, je crois que cette saignée m’a fait grand bien ; ma goutte me laisse tranquille et, à côté de cette torture, le trou fait par une balle n’est rien du tout. Je serai bientôt sur pied : n’allez pas vous imaginer, jeune lionceau, que je vais vous laisser me voler toutes mes victoires.

— Je n’ai rien fait que d’achever ce que vous aviez si bien commencé.

— Non, monsieur, la journée d’Ambour est à vous, et, si vous ne vous en vantez pas, la renommée le fait pour vous ; vous êtes jeune, la gloire vous aime.

Il y avait un peu de rancune sous cette bonhomie, et Bussy, embarrassé, n’osait pas faire sa demande, tant il craignait un refus.

— Je crois que nous aurons ici de longs loisirs, dit-il ; les princes semblent peu pressés de se remettre en campagne.

— C’est un tort, un grave tort, s’écria le général avec animation ; ils sont là à s’investir les uns les autres de titres pompeux, à lever des impôts, à fouil-