Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/224

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prends pour le feu de la souillure, pour de la haine, est une autre brûlure, pareille à celle qui me dévore, je le croirai, va, tellement cela devrait être si de farouches préjugés n’affolaient pas ton esprit. Oui, c’était la volonté du ciel. Tu devais m’aimer, moi, venu de si loin à travers les mers, certainement guidé par le destin, pour t’arracher à la mort : et quand, dans le premier regard, je t’ai donné mon âme, tu devais me donner la tienne en échange ; malgré toi, peut-être, je te l’ai prise…

— Il faudra me la rendre alors, dit-elle d’une voix délicieuse, pour que je puisse donner ce que l’on m’a pris.

D’un mouvement presque involontaire, il lui entoura la taille de ses bras, et elle ne le repoussa plus. Elle semblait s’engourdir, partager le trouble qui le bouleversait. Ses yeux aussi avaient changé d’expression : un attendrissement noyait ses larges prunelles ; et lui, de plus près, regardait au fond de ces diamants noirs, au rayonnement d’étoile, il admirait les contours si purs de ce visage, s’extasiait de cette bouche adorable, dont le vague sourire découvrait des dents plus charmantes que les boutons du jasmin. Et il était à tel point subjugué par cette perfection, qu’il ne comprenait plus comment il avait osé parler tout à l’heure comme il l’avait fait.

— Ah ! pardon ! pardon ! dit-il. Ourvaci, pourquoi m’aimerais-tu ? Pardonne-moi de t’avoir offensée d’une telle démence ! c’est comme si on demandait au splendide soleil d’aimer la terre obscure, qu’il éclaire et qu’il ravit.